« Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux spectacle de la dignité de sa vie » (ainsi parlait le Code Soleil)

Bon, je n’ai malheureusement pas trouvé trace de conseil sexuel (je vais devoir continuer à me débrouiller sans), mais je me suis tout de même régalé à lire la première partie du livre : « morale professionnelle », abandonnée en 1977, l'année même où je commençais ma scolarité (mes instits ont donc été formés à coups de Code Soleil).
Un étrange parfum se dégage de ces 50 pages, entre sourire un peu narquois et étonnement un brin nostalgique. Morceaux choisis.
La vocation
« Ce poste, c’est tout de même un coin de France qui lui est
confié. Il va en être l’éducateur, le moralisateur, le philosophe. Le
métier d’instituteur n’est pas seulement une fonction comme celle de
n’importe quel employé. C’est un apostolat en ce sens qu’il tend à
former des disciples d’un idéal moral. Par-delà les murs de sa classe,
il lui appartient d’être le guide intellectuel, moral et social de la
collectivité qui l’entoure ».
La culture personnelle
« L’instituteur consciencieux poursuit une seule et même tâche :
il s’instruit, il cultive son jardin. S’intéresser à tout ce qui
l’entoure est une règle de conduite. C’est cette habitude de travail
intellectuel, cet amour de l’étude désintéressée qui fait l’intérêt de
sa vie. Cette culture intellectuelle, l’instituteur l’élargira
nécessairement par le contact avec la vie populaire. Et d’abord, se
mêler aux jeunes, savoir rester jeune pour conquérir les jeunes. La
vocation de l’éducateur implique une constante recherche de l’âme
enfantine à la lumière de sa propre curiosité
intellectuelle. L’éducateur qui aime son métier s’y consacre de toute
son âme et sa propre éducation est le premier de ses soucis : elle doit
se prolonger toute sa vie ».
La maîtrise de soi
« Pour réussir dans sa classe, l’instituteur aura besoin encore
d’une grande égalité d’humeur, d’une pleine et constante possession de
soi-même. Le règlement interdit les sévices et les châtiments corporels.
Mais il ne suffit pas d’éviter ces excès. L’impatience, l’irritabilité
qui font que vous êtes plus ou moins sévères, selon que vous êtes de
bonne ou de mauvaise humeur, déconcertent les élèves et les amènent à
douter de la justice – de votre justice. Vous devez respecter la
personnalité naissante de l’enfant et l’aider peu à peu, avec mille
ménagements, à s’affranchir, à s’élever, à acquérir enfin la pleine
maîtrise de soi. Comment y arriverez-vous si vous donnez vous-même le
lamentable exemple de la colère et de l’emportement ? L’enseignement est
une longue patience. Vous ne serez jamais un bon éducateur si vous
n’avez pas fait d’abord l’éducation de vos nerfs ».
La conscience professionnelle
« S’améliorer soi-même pour perfectionner et rajeunir son
enseignement : se rendre supérieur à sa tâche, non point pour s’en
évader, mais pour la mieux accomplir ; reporter sur la classe les
disciplines que l’on acquiert pour soi-même ; considérer enfin le labeur
quotidien non point comme une sujétion que l’on supporte « parce qu’il
le faut », mais comme une œuvre d’art que l’on parachève avec joie parce
qu’on l’aime. La pente est glissante pour qui s’abandonne aux petites
capitulations de la conscience. Moins que tous autres, les éducateurs
peuvent avoir la tentation de s’abandonner, car, ils le savent bien, ce
sont des générations d’enfants dont ils amoindriraient la valeur
individuelle et sociale ».
Le droit de grève
« Spécialement pour l’instituteur, la participation à une grève
totale pose un grave problème de conscience, qu’il ne faut pas résoudre à
la légère et sans en avoir pesé toutes les conséquences vis-à-vis des
familles, vis-à-vis des enfants qui, eux aussi, ont un droit, enfin
vis-à-vis de lui-même. La grève est l’arme suprême des travailleurs.
C’est dire qu’il ne faut se résoudre à en faire usage que dans les cas
d’une exceptionnelle gravité. Une grève ayant été régulièrement décidée
au sein du groupe professionnel, tous les membres de ce groupe ont le
devoir de faire acte de solidarité en y participant loyalement et sans
réserve ».
La vie privée de l’instituteur
« L’éducateur doit être irréprochable dans sa tenue et dans sa
conduite privée. Que l’instituteur donne à ses élèves le courageux
spectacle de la dignité de sa vie. Enseigner n’est pas seulement un
« métier ». C’est un art dans lequel intervient la personnalité du
maître, son tempérament, son caractère. Il y a de la part de l’éducateur
une sorte de chaleur communicative, un reflet d’âme qui pénètre la
classe toute entière. L’instituteur a donc l’obligation de se montrer
particulièrement sévère pour lui-même. Placé dans une situation
spéciale, sous le regard de tous, il ne peut oublier un seul instant que
ses faits et gestes – son langage, ses relations, sa conduite – sont
soumis au contrôle public et qu’il est impossible que toute sa vie
privée ne soit pas l’illustration de la leçon de morale ou de civisme
qu’il donne à l’école.L’institutrice, surtout, aura à se surveiller. Un écart, qu’elle a pu considérer comme une innocente distraction, sera exploité par les méchantes langues. Bien sûr, la « demoiselle » de l’école ne doit pas vivre esseulée comme une sainte dans sa niche, mais elle ne saurait non plus impunément se mêler à des exubérances de mauvais aloi, ni se prêter à des fréquentations douteuses. A elle d’apprécier les limites du bon goût et de s’y tenir, en se gardant toutefois de mériter le reproche de vanité ou de pédantisme. Le souci de la correction n’exclut pas la joie de vivre en société, conditionnée par la bonne humeur et l’aménité du caractère ».
Rapports avec la population
« L’instituteur doit se montrer prodigue de ses conseils toutes
les fois qu’il s’agit de faire triompher le droit, de combattre
l’injustice ou l’intolérance, d’apaiser les conflits, de servir enfin
les intérêts matériels ou moraux de la collectivité qui l’entoure. Sans
s’ériger en redresseur de torts, il montrera la solution juste,
l’attitude honnête, il s’efforcera d’élever la mentalité ambiante vers
un idéal, il tracera la voie du progrès, il essaiera de substituer la
conception de l’intérêt général aux conceptions étroites de l’intérêt du
clocher. Il est, faut-il encore le répéter, le représentant de la
nation au service des habitants d’un village, l’homme dont la vie est un
exemple et la tâche une éducation ».
Devoirs envers les élèves : aimer les enfants
« L’école est assidûment et joyeusement fréquentée quand le
maître ou la maîtresse ont su la faire aimer en donnant à leur
enseignement l’animation, la vivante gaieté qui conviennent à la nature
des enfants. Ce qui fait la noblesse de l’éducateur, c’est qu’il se
donne tout entier à ses élèves ; c’est que, sans peser en des balances
trop subtiles ce qu’il leur doit et ce qu’on lui doit, il se dépense
pour eux sans compter ; c’est qu’il n’est pas le distributeur
automatique de connaissances et de recettes, mais un apôtre du travail,
de la vérité, de l’altruisme, de la justice. Il faut que le maître
trouve chaque jour dans son cœur, dans sa conscience, les trésors de
bonté, d’équité, de patience, d’indulgence même qui, bien loin de nuire à
son autorité, la renforceront en l’adoucissant. En acceptant d’être
instituteur, vous avez pris l’engagement tacite d’aimer les enfants,
tous les enfants qui vous sont confiés, de les aimer assez pour en faire
des hommes ; et si la tâche vous paraît plus ingrate à l’égard de
quelques-uns, il faut bien, n’est-ce pas, que vous les aimiez davantage.
Ce ne sera que la stricte justice ».
Conclusion
« Réfléchissez à ceci : l’accomplissement de son devoir est chose
relativement facile pour qui a la conscience haut placée. Quant à
l’exercice de ses droits, c’est quelquefois plus difficile. Ne pensez
pas trop à vos droits ; souvenez-vous que l’exercice inconsidéré d’un
droit équivaut à une faute et que l’on a quelque fois tort d’avoir
raison ».« Vous entretiendrez dans l’âme de vos élèves « la flamme immortelle » qu’allume l’amour du bien, de la vérité, la passion de la liberté et de la justice. Vous exalterez l’effort persévérant. Vous donnerez l’exemple de l’action disciplinée qui conditionne l’exercice de la liberté. Vous établirez par les faits, que l’école laïque est l’école de la tolérance et de la fraternité. Vous formerez des « caractères » doués de sens social, mais aussi de sens critique, afin qu’ils ne soient plus jamais les dupes et les victimes des propagandes mensongères, des mystiques absurdes, des folies grégaires. Vous redresserez bien haut, devant vos élèves, le flambeau de l’idéal national. Mais vous veillerez à ce que cet attachement indéfectible à la Patrie ne dégénère jamais en un nationalisme étroit, en un chauvinisme générateur de haines. Aimer sa patrie, c’est avoir la volonté de défendre contre toute agression ; c’est aussi de vouloir qu’elle soit toujours plus fraternelle et plus humaine ».
Nota : Le Code Soleil (du nom de son auteur, Joseph Soleil, chef de bureau au ministère de l’instruction) fut édité à partir de 1923, et depuis 2005 en version numérique. Je n’ai pas lu la version 2007, la dernière en date, téléchargeable. La préface est lisible en ligne, elle donne à voir un Code Soleil interrogé sur lui-même, le mot de pédagogue tente une percée en complément de celui d’éducateur, mais le tout sent fort le verbiage théorique qui se regarde penser : « Finalement, c’est le projet laïc de l’école et sa radicalisation qui s’affirment aux travers des nombreuses rééditions du Code Soleil. Cette affirmation d’un projet laïc global s’accompagne d’un glissement éthique, de la praxéologique vers la déontique ». Ah bon, d’accord. Le Code Soleil, c’était plus rigolo avant !..

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